chapitre 1 ◆
My rifle is my best friend. It is my life. My rifle, without me, is useless. Without my rifle, I am useless. I must fire my rifle true. Le sable leur brûlait le coin des yeux, la chaleur faisait perler leurs fronts. Ils n'étaient que des gamins que le désert avait changé en hommes un peu trop vite. Des cow-boy un peu perdus, le calibre pointé sur leur prochaine victime. Abattre, sans réfléchir. Exécuter les ordres et rentrer au bercail avec la sensation que plus rien n'aurait de goût, que les couleurs s'étaient ternies, les mains vides et maladroites sans une arme pour leur donner un sens.
Quelques taches près de son col, sur ses épaules. Du sang sur ses doigts assassins, concentrés sur la gâchette. Du sang sur ses bras. Celui d'un coéquipier éventré qu'il avait essayé de sauver plusieurs heures avant de se retrouver là, à retenir son souffle. Ils étaient venus pour accomplir leur mission, ils restaient pour se venger.
Et au moment venu, la sentence.
Le silence les enveloppa, chaque inspiration suivante paraissant divine. Quelques tapes sur son dos, des regards bienveillants. Puis une voix derrière lui, un peu enrouée, sûrement pleine de sable. «
That’s the seventh today Luke. That's more than all of us in a week... »
Il se releva sans un mot.
chapitre 2 ◆ Elle avait réussi à redonner un sens à tout ce qui n'en n'avait plus. Là, entre ses bras, il n'y avait plus qu'elle, son souffle, la courbe de ses hanches, le dessin de ses lèvres. Lorsqu'il était loin, qu'il faisait froid ou qu'il brûlait de la retrouver, il n'avait qu'à fermer les yeux pour la voir danser dans l'obscurité,
sa petite étincelle. Il y avait eu d'autres femmes avant elle, d'autres paumes et d'autres baisers, d'autres regards et des promesses confiées à la nuit, mais plus aucune autre depuis que leurs routes s'étaient croisées. Du bout des doigts, sans un mot, elle avait réussi à refermer les cicatrices qui avaient marqué sa peau après trop d'années passées sur le champs de bataille, elle lui avait donné une bonne raison d'être encore une vie, une bonne raison de toujours se battre et ne jamais baisser les bras. Évidemment qu'il avait eu peur plus d'une fois, évidemment qu'il s'était imaginé rigide et froid, incapable de répondre à ses appels, incapable d'entendre sa voix, enfermé entre quatre planches de bois, prêt à être mis en terre. Évidemment qu'il y avait songé et qu'il avait pensé à Ava, à genoux, immobile, agrippant la main de la mère de Luke, la seule à pouvoir comprendre sa douleur. Mais il la savait forte, bien plus forte que lui. Il fallait être lâche pour ôter la vie à des inconnues, des ennemis qui n'en n'étaient pas vraiment ; il fallait du courage pour porter la vie, pour la donner. Et il avait vu le ventre d'Ava s'arrondir et il avait su, su qu'elle était bien plus forte qu'il ne le serait jamais. Il avait parfois honte de laisser ses propres mains courir sur le corps de la blonde, ses mains tachées du sang de ceux qu'il avait abattu, de ses coéquipiers tombés. Ses mains couvertes de poudre, de sable, de boue. Ses lèvres qu'il avait posé sur les fronts des cadavres alliés, sur ceux des enfants tombés, sacrifiés à la folie des hommes ; ses lèvres gercées, craquelées du mal qu'il avait répandu dans d'autres contrées, là où le chant des munitions prenait des allures de berceuse. Mais elle ne voyait jamais le soldat, simplement Luke. Celui qui se battait à l'intérieur, celui qui vivait pour elle ; pour
elles. Juste pour Ava et Emily, qu'il tenait contre lui, sa chemise absente pour que la petite puisse sentir le coeur de son père, qu'elle se nourrisse du rythme comme elle restait parfois contre le sein de sa mère.
Quand il reprendrait les armes, ce serait pour elles. Juste pour elles.
chapitre 3 ◆ «
Ava, I swear, it's only a couple of months. » Elle en avait assez d'entendre ses explications. C'était sûrement pour ça qu'elle ne répondait plus, trop occupée à faire autre chose, ou à ne rien faire du tout. Dans tous les cas, il préféra s'approcher d'elle pour poser ses mains doucement sur ses hanches, posant ses lèvres dans sa nuque, comme si la nouvelle serait plus facile à accepter. «
And it's nothing like before, you know it's not. I'm sitting at a desk now, that's pretty much it. » Ça ne lui ressemblait pas pourtant, mais il avait bien fallu qu'il arrête de se mettre en danger. C'était sa mère qui lui avait dit, qui lui avait raconté la façon dont Ava se comportait quand il était absent. C'était un coéquipier qui avait fini de le convaincre en lui racontant que son fils ne l'avait même pas reconnu lorsqu'il était rentré chez lui, alors c'était plus simple de rester sur le terrain à présent. Mais il n'était pas de ces hommes-là, il n'était pas son père ; c'était du moins ce qu'il se répétait pour tenter de se donner bonne conscience. Alors des armes à feu et autres entrainements intensifs, il était passé aux renseignements et aux déchiffrages ennuyeux, assis à un bureau toute la journée, passant plus de temps en costume qu'en uniforme. Luke avait cru bien faire, se disant qu'on ne l'enverrait pas à l'autre bout du monde s'il endossait ces nouvelles responsabilités. C'était sans compter sur l'envie de son gouvernement de vouloir mettre son nez absolument partout, encore davantage dans ce qui ne le regardait certainement pas. Le Danemark n'avait jamais figuré dans sa liste de pays à visiter, mais il ne pouvait pas franchement refuser. «
I'll be home soon, I promise. And then I'll try to find something else. » Des promesses qu'il ne tenait jamais, qu'il n'arriverait jamais à tenir, mais qu'elle devait continuer de croire pour lui.
chapitre 4 ◆ Ses genoux avaient rencontré le bitume, mais cela n'avait rien à voir avec de l'impatience ou du soulagement ; c'était absolument contrôlé, bien entendu. Luke cherchait uniquement à se mettre à la hauteur de sa fille, la petite Emily qu'il avait quitté alors qu'elle dormait encore, bien au chaud entre les bras de Morphée en attendant que Luke prenne la relève quelques mois plus tard, quand il serait de retour. Un coup de fil pourtant, et Luke avait été contraint de retarder sa mission, les semaines s'écoulant alors qu'Ava lui avait pourtant annoncé sa grossesse un mois après qu'il ait fait ses valises. Il se demandait si l'enfant pouvait déjà l'entendre depuis le ventre d'Ava, puis il se rendait malade avec ses propres réponses. Elles arrivaient enfin avec un autre bambin encore bien au chaud, après quatre longs mois de négociations, quatre mois au cours desquels les médecins ne voulaient plus lâcher Ava. Luke avait fini par faire intervenir l'armée, et elles étaient enfin là, face à lui, dans ses bras. Et en voyant Emily courir jusqu'à lui, il s'était mis à genoux, respirant à nouveau.